un homme, sans travail et sans domicile, qui avait trouvé refuge dans l’encoignure d’un immeuble inhabité, n’ayant pour tout bien qu’un chien ébouriffé et malingre, un baluchon inconsistant et un carton. Nous l’appellerons « Jules .»
Il était là depuis plusieurs semaines, attendant, chaque jour, les pièces que quelques passants charitables déposeraient dans sa sébile et qui lui permettraient de s’offrir, le soir venu, l’unique repas de la journée.
Un beau jour de printemps il vit trois ouvriers d’une entreprise de bâtiment dresser un échafaudage contre la façade de la maison voisine. Le plus jeune, le moins aguerri à la maçonnerie, que nous prénommerons « Daniel », était relégué aux tâches secondaires, ce qui n’échappa pas à Jules.
A l’heure de la pause, Daniel, un homme ordinaire mais attentif aux autres, donna à boire au chien et offrit la moitié de son casse-croûte au vagabond.
Le lendemain, à la même heure, il apporta de l’eau à l’animal et une poignée de croquettes. Une nouvelle fois, il partagea son repas avec le marginal.
Le surlendemain, Daniel renouvela son geste et s’assit à côté de Jules pendant le temps du déjeuner. Et chaque jour suivant, il fit de même.
Petit à petit, des relations s’instaurèrent entre le jeune ouvrier et le clochard.
Jules, qui avait franchi, depuis bien longtemps, la « ligne jaune » de la société, Jules auquel personne n’adressait la parole, ou si peu, se mit à parler, à se confier, à exprimer ce qu’il avait sur le cœur.
« Tu sais, dit-il à Daniel, depuis que je suis dans la rue, bien des personnes sont venues apporter de l’eau à mon chien, certaines lui ont donné à manger, comme toi même l’as fait. Quelques autres m’ont offert une pièce. Certaines ont envoyé leurs enfants me faire la charité comme si elles craignaient de m’approcher ou d’échanger une parole avec moi. Mais jamais personne ne s’était, avant toi, assis à mes côtés, pour partager son repas. C’est le plus beau des cadeaux qui m’ait été fait depuis longtemps ! »
Daniel était-il croyant ? Nous l’ignorons. Ce n’était qu’un homme simple, peut être sans grande culture, mais qui possédait l’essentiel : la richesse du cœur. Il avait su reconnaître, à travers ce pauvre parmi les pauvres, un frère devant Dieu.
Ce fait divers l’a beaucoup marqué et nul doute qu’il a reçu en retour bien plus que le simple casse-croûte offert à Jules chaque jour du mois qu’a duré le chantier.
Lorsque, désormais, nous passerons devant un S.D.F assis à même le trottoir, saurons-nous, nous aussi, avoir pour lui le regard qu’eut Daniel pour Jules ? ( d’après une anecdote de Mr René Foyer)
P. Péchiné